La question de la prise en charge par l’administration des frais de procédure dans le cadre de la protection fonctionnelle pour harcèlement moral n’a pas fini de nourrir le contentieux.

Le 27 octobre 2009, Madame Béatrice PAVY, député UMP de la Sarthe, avait posé une question écrite à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’Etat sur les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 . La réponse était plutôt insatisfaisante en ce qu’elle exposait les conclusions de l’arrêt fondant la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral (CAA Nancy du 2 août 2007, n°06NCO1324, Commune de Hoenheim, confirmé par CE 12 mars 2010) mais n’offrait aucun outil concret aux administrations pour fixer les règles de prise en charge des frais de l’avocat.

Cette question reste très problématique en pratique.

Deux cas peuvent se présenter:

  • l’agent est dans une situation ouvrant droit à la protection fonctionnelle qui lui est accordée par son administration avant l’introduction des procédures,
  • l’agent se voit refuser la protection fonctionnelle et doit engager des poursuites pour faire reconnaître son droit et solliciter ensuite le remboursement des frais de cette procédure, en complément de ceux utiles à faire valoir ses droits dans le cadre d’un éventuel autre contentieux.

Dans le premier cas, un arrêt récent de la Cour administrative d’Appel de Paris du 19 juin 2012 vient apporter quelques lumières qui posent néanmoins le problème de l’indépendance de l’avocat et dont les règles peuvent contrevenir aux lois et réglements applicables à la libre fixation des honoraires. Mais les bases de calcul sont posées.

Dans le second cas, souvent, l’agent doit poursuivre l’administration responsable du préjudice qu’il subit et il paraît complexe, voire schizophrène, comme l’indique le Professeur Jean-Pierre DIDIER, de mettre en oeuvre une protection fonctionnelle à vocation réparatrice avant même tout contentieux sur le fond de la responsabilité. Sur ce point et à notre connaissance, aucune jurisprudence n’est venue fixer les règles de prise en charge des frais d’avocat.

1°) La prise en charge des frais d’avocat dans le cadre de la protection fonctionnelle avant tout procédure

Dans l’arrêt du 19 juin 2012 (AJFP 2012, p.322, Conclusions du Rapporteur public Olivier ROUSSET), un agent gardien de la paix avait, lors d’une violente altercation au cours d’un match de football, dû faire usage de son arme. Il avait tué une personne et blessé une autre. Etant partie civile et témoin assisté dans la procédure pénale qui en a découlé, cet agent avait sollicité la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle et l’avait obtenue.

La Préfecture de police avait alors indiqué au préalable les règles de fixation des honoraires de l’avocat choisi par l’agent. L’avocat n’avait pas répondu à ces règles de fixation, avait appliqué les siennes et avait communiqué 3 notes d’honoraires pour un montant total de 47.361,60 euros.

La Préfecture a refusé de régler ces notes pour trois motifs:

  • les honoraires n’avaient pas été fixés selon les règles préalablement établies par la Préfecture,
  • rien ne justifiait que l’agent avait au préalable payé ces honoraires, le préjudice n’étant ainsi pas établi,
  • les honoraires revêtaient un caractère excessif au regard des règles fixées au préalable, si la Préfecture avait elle-même mis à disposition de l’agent son propre avocat.

La Cour a fait droit aux arguments de la Préfecture et a rejeté les demandes de prise en charge des notes d’honoraires de l’agent. Ainsi, il ressort de cette jurisprudence que pour que les frais soient pris en charge:

  • l’agent et l’administration doivent se mettre d’accord au préalable sur les règles de fixation des honoraires,
  • l’administration peut refuser la prise en charge de ces frais directement, c’est-à-dire qu’elle peut demander à vérifier que l’agent les aura au préalable réglés puis procèdera ensuite à leur remboursement,
  • l’agent a le libre choix de son conseil mais l’administration peut lui mettre à disposition un avocat dont elle règlera les honoraires directement.

Cette solution est basée sur la nature du lien contractuel qui existe entre le client et l’avocat. Ainsi, l’administration, dans le cadre de la protection fonctionnelle, se retrouve devoir exécuter un contrat dont elle n’est pas partie et auquel elle n’a pas eu sa part de négociation. Il paraît donc normal de ne pas lui imposer des frais sur lesquels elle n’aurait aucun regard. Cette solution a le mérite d’octroyer une marge de contrôle par l’administration des frais qu’elle devra engendrer dans le cadre d’une procédure contre ou au profit de son agent.

Néanmoins, ce contrôle peut largement porter atteinte à l’indépendance de l’avocat dans la libre fixation de ses honoraires. En effet, la volonté de rationaliser les coûts de procédure contrevient aux dispositions de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971 selon lequel les honoraires de l’avocat sont fixés conformément à une convention écrite entre les parties. A défaut, les honoraires sont fixés “selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.” Ainsi en l’absence de contrat écrit, la compétence de l’avocat ainsi que les difficultés propres au dossier sont des éléments de fixation de l’honoraire, sur le taux horaire ou sur le forfait appliqué.

En l’espèce, l’arrêt de la Cour administrative d’appel indique que c’est l’administration qui fixe à l’avocat choisi par l’agent les règles de paiement des honoraires. En l’espèce, l’avocat n’avait pas répondu aux prescriptions de l’administration et sa facturation étant supérieure aux préconisations préalables, l’administration avait refusé de payer, à juste titre. En effet, à défaut d’accord entre les parties avant l’exécution des diligences, le client et à plus forte raison le tiers au  contrat, peut refuser de s’exécuter.

En pratique, il est donc essentiel d’engager une négociation précontractuelle sur le déroulement de la procédure et le taux horaire qui sera fixé afin de ne pas avoir de mauvaise surprise et laisser à la charge du justiciable le complément du prix qui ne sera pas pris en charge par l’administration.

Mais l’avocat choisi peut-il réellement appliquer une libre fixation du prix de ses honoraires au profit de son client? Compte tenu de ce contrôle préalable, il est important d’exposer à son client, l’agent requérant, que l’administration peut tout à fait négocier les tarifs à sa place et qu’en cas de refus de prendre en charge la totalité, ces frais lui seront imputables. Un recours sera toujours possible: si l’administration est partie au contrat, ce qui est souhaitable, le contentieux de l’honoraire relèvera de la compétence du Bâtonnier du ressort de l”avocat. Si l’administration n’est pas partie au contrat, le contentieux sera celui de la responsabilité et l’agent pourra tenter de recouvrer les montants dus devant le tribunal administratif en réparation du préjudice subi, sur le fondement de la protection fonctionnelle. Le juge devra alors tenir compte des règles de fixation des honoraires de l’avocat.

Il est également essentiel de fixer au préalable les règles de paiement de ces honoraires: en l’absence de précision sur le paiement direct par l’administration des honoraires de l’avocat, l’administration pourra tout à fait refuser de payer d’avance les frais et pourra exiger que l’agent paie les honoraires puis les lui remboursera. Les délais de paiement étant assez longs en droit public, cette précision préalable est essentielle mais difficile à obtenir en pratique.

Ce type de contentieux existe déjà en droit privé dans le cadre de l’assurance protection juridique. Les assurances mettent à disposition de leur assuré un avocat qu’elles règleront directement selon un barème préétabli en fonction du contentieux, ou laissent le libre choix de l’avocat au justiciable mais fixent des plafonds de subvention. Au-delà, l’assuré devra prendre en charge lui-même ses frais d’avocat.

Cette situation connaît de grandes limites en pratique. En effet, un avocat très spécialisé qui offrira plus de chances de succès à son client aura une pratique tarifaire plus importante du fait de sa compétence pointue ce qui n’est pas pris en charge dans le cadre des assurances ou de la protection fonctionnelle. C’est là toute la limite économique de cette dernière.

En tout état de cause, cet arrêt permet d’alerter l’agent sur les réalité de la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle et la nécessité pour lui d’engager l’administration dans la relation contractuelle qu’il a avec son avocat.

La situation est nettement plus complexe dans le cadre d’un refus de protection fonctionnelle.

2°) La prise en charge des frais d’avocat dans le cadre d’un refus de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle

Cette situation s’illustre parfaitement dans le contentieux du harcèlement moral.

Ainsi, un agent victime de harcèlement moral notamment institutionnel, c’est-à-dire en dehors de toute personnalité (comme dans le cas d’un supérieur hiérarchique sur un subalterne), va solliciter de son administration la mise en oeuvre de la protection fonctionnelle: l’agent demande ainsi à l’administration fautive de se reconnaître au préalable coupable et de payer les frais d’une procédure qui va être engagée contre elle-même.

Cette fiction juridique qui vise à responsabiliser l’administration sur le plan procédural est néanmoins totalement utopique en pratique. En effet, le contentieux du harcèlement moral démarre souvent par la contestation d’un refus de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral. Qui des honoraires?

Le requérant va devoir prendre en charge la totalité des frais de procédure et ce n’est que s’il obtient gain de cause que l’administration mettra en oeuvre la protection fonctionnelle et s’engagera ainsi, souvent sur injonction, à régler les frais d’avocat déjà engagés sur lesquels elle n’a eu aucun pouvoir de négociation. Le comble de la perversité de ce système est que souvent, l’administration, par ses manoeuvres dilatoires plus ou moins intentionnelles, contribuera souvent à augmenter le montant de ces honoraires: non respect des calendriers de procédure, communication en dernière limite de mémoires en réplique, aggravation des faits de harcèlement du fait de la longueur des procédures (en moyenne 18 mois devant un tribunal administratif), le tout exposant l’agent à un préjudice à la fois moral et pécuniaire, en cas de faits avérés.

Bien souvent, cet agent en congé maladie car exposé à une situation pathogène, sera placé en demi-traitement le temps de la procédure, la situation pouvant être difficilement réversible.

Dans ce cas bien précis, il est nécessaire de reconnaître à la demande de protection fonctionnelle un caractère indemnitaire. La fixation du dommage subi consistera notamment en l’analyse scrupuleuse des factures de l’avocat, factures détaillées, au regard des usages en pareil litige et des critères fixés par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1971. La réparation du préjudice moral est, en droit public, d’une extrême complexité et particulièrement discriminatoire par rapport aux barèmes appliqués en droit social. Les factures de l’avocat, qui auront été réglées par le requérant au préalable, permettent en conséquence d’avoir une base de travail sur la réparation de ce préjudice et constituent un élément psychologique fort pour le justiciable qui, outre la reconnaissance de sa situation, ne subira pas en complément le préjudice du coût d’une procédure qui légalement devait être prise en charge par l’administration sur le fondement de l’article 11 de la loi Le Pors.

Cette pratique jurisprudentielle est essentielle pour que la protection fonctionnelle pour  harcèlement moral ne reste pas lettre morte. Le juge doit pouvoir exercer le même contrôle que le Bâtonnier sur la fixation des honoraires et le remboursement par l’administration de ces frais. L’usage commande devant le tribunal administratif le versement d’un montant forfaitaire d’usage au titre de l’article L761-1 du code de justice administrative (environ 1500 euros devant le tribunal administratif à Paris). Ce montant doit venir en déduction du montant forfaitaire admis au titre de la protection fonctionnelle mais ne saurait couvrir la totalité des frais de procédure dans le cadre de litiges souvent très volumineux compte tenu des aspects très largement factuels de la qualification juridique.

Le Conseil d’Etat a rendu de grands arrêts de principe depuis 2 ou 3 ans sur le harcèlement moral dans la fonction publique mais la mise en pratique de ces règles continue de nourrir un contentieux grandissant, les victimes ayant toutes difficultés à faire reconnaître leur droit et réparer leur préjudice devant les tribunaux. Il ne reste qu’à encourager cette émergence jurisprudentielle spécifique à ce type de contentieux, qui prenne en compte, là où la loi reste imprécise, les difficultés rencontrées dans la reconnaissance et la réparation de ces situations.